Historique Roullet Decamps
Voici l’histoire de la maison Roullet Decamps.
Mesdames, Messieurs, j’ai le très grand plaisir de vous parler du sujet qui me tiens le plus a cœur : les automates. Ceux-ci ont occupés et remplis toute ma vie et je vais vous en parler du point de vue du fabricant.
La fabrique dont nous nous sommes occupés mon mari et moi fut fondée par mon arrière grand père : Jean ROULLET.
Texte écrit par Madame Cosette DECAMPS
Comment devient on fabricant d’automates au 19° siècle ?
Rien ne prédestinait Jean Roullet à ce genre de métier. Il est né aux Abrets, petit village du nord du Dauphiné en 1829.
Il n’a surement jamais entendu prononcer le mot « automates » lorsqu’a 16 ans, participant au grand mouvement de la paysannerie vers la ville, il arrive à Paris comme me l’a raconter mon père, ayant encore de la paille dans ses sabots et ne sachant ni lire ni écrire.
Tout en s’instruisant, il apprend un très bon métier, celui d’outilleur, c’est-à-dire celui qui crée l’outil qui servira à découper, à estamper, à emboutir. Ce qui est le point de départ de toute fabrication mécanique.
Son mariage avec Françoise Midon, fille de commerçant du quartier de la République facilitera son établissement. En 1865 l’ouvrier Jean Roullet s’installe à son compte dans le marais au cœur de la petite industrie parisienne en tant que mécanicien outilleur.
Autour de lui des fabricants de bijoux, de bimbeloterie, de jouets. A 3 minutes a pied de son atelier de la rue des quatre fils se trouve la rue de Montmorency dans laquelle nous ne relevons pas moins de 10 fabricants de jouets.
Parmi eux se trouve Théroude, la plus ancienne fabrique de jouets mécaniques automates du 19° siècle dont le nom nous soit parvenu. Fondée en 1832.
Madame Barbara Spadacini a fait paraitre dans la revue toys and dolls une étude très approfondie de l’œuvre de Alexandre Nicolas Théroude, mettant en lumière son intense activité créatrice. Une vingtaine de brevets en sont les témoins.
Il est heureux que nous ayons ces témoins car l’œuvre de Théroude est un peu méconnue. Ainsi il était très rare que l’on nous apporte un automate en nous disant : j’ai un Théroude à réparer.
Il est possible qu’une partie de sa production soit à l’heure actuelle attribuée à d’autres fabricants. Il est surtout connu pour ses sujets mécaniques qui avançaient en roulant et en exécutant divers mouvements. Pourtant il créa des automates beaucoup plus complexes, souvent de grandeur nature et des groupes de musiciens fonctionnant avec des jeux d’orgues.
Jean Roullet a certainement bien connu Théroude, peut-être même a-t’il travaillé pour lui. Toujours est-il qu’a force de faire des outils et des pièces mécanique pour les jouets, il eut a son tour, envie de créer ses propres modèles, en association avec un de ses clients Mr Lamour, sertisseur. Il sortit un petit sujet qui avançait en poussant une brouette. Le mouvement de la marche était soigneusement reproduit, et la roue de la brouette assurait la stabilité. Présenté à l’exposition internationale de 1867, il y reçut une médaille de bronze.
A travers ce jouet, nous voyons que Jean Roullet était un homme du métal. Tous les éléments: le corps, les jambes, la brouette sont en métal embouti, seule la tète est en porcelaine. C’est aussi un homme moderne qui croit à la machine. Son outillage important lui permet des productions en série à des prix bon marché.
Le docteur Porot a retrouvé un très amusant article consacré aux jouets présentés à l’exposition de 1867, dans lequel l’auteur conseille à Monsieur Steiner d’appliquer les procédés de fabrication de Mr Roullet pour arriver à des prix qui ne soient pas aussi prohibitifs pour son cheval et ses poupées mécaniques.
Ainsi nous apprenons que le petit jardinier coutait 8 frs 50 cts et que fabriqué par les procédés Steiner, il en aurait couté 20.
Si ce petit sujet avait un corps qui s’apparentait à un tuyau en tôle, cela ne se jugeait pas car il était vêtu de costumes de satin qui lui donnait des apparences variées. Un de ceux qui me reste est habillé d’un costume de polichinelle. Le succès fulgurant de ce jouet en fit le sujet fétiche de notre maison et l’emblème de notre marque de fabrique.
Le même principe pouvait être appliqué aux animaux, mais aussi à des sujets plus grands comme cette belle Dame appelée « poupée marchante » dont l’ample jupe pouvait masquer des stabilisateurs.
De 1868 à1870, la maison Lamour et Roullet figure dans l’annuaire du commerce comme « fabrique de jouets automates brevetés ». Les termes « commission exportation » qui s’ajoutent dès 1869 montrent l’importance prise en très peu de temps par la fabrique.
L’association Lamour Roullet fut de courte durée, elle se termine en 1870. Jean Roullet continue seul.
Aux fabrications nouvelles s’ajoutent des jouets mécaniques par les anciens procédés.
Quels sont-ils ces anciens procédés ?
Vraisemblablement ceux du style Théroude ou les sujets sont montés sur des charriots, et aussi des « pièces a musique » c’est-à-dire des automates.
Ainsi le petit paysan des Adrets est devenu un monsieur qui a pignon sur rue: Il est fabricant d’automates.
En 1879 sa fille unique Henriette épousera son chef d’atelier: Ernest Henri Decamps, et notre marque de fabrique se complètera plus tard de 2 lettres: R D au dessus du petit jardinier.
A l’époque, être fabricant d’automates n’a rien de spécialement original, et je peut vous citer quelques noms connus et moins connus, il y en avait certainement bien d’autres.
Parmi eux nous avons vu Théroude, Roullet, la troisième tète d’affiche, bien sur, c’est Vichy. Gustave Vichy eut un cheminement plus aisé que Jean Roullet. Son père était horloger, il fabriquait des rouages et des mécanismes pour les jouets, mais aussi des jouets automates. Après la mort de son père, il s’installe en 1866 rue de Montmorency, à coté de chez Théroude.
Il apportera à ses fabrications beaucoup de recherches dans le « mouvementage » et de solides mécanismes d’horlogerie, centrant sa production sur l’automate plus que sur le jouet mécanique, alors que Roullet continuera toujours a mener les deux de front.
Gustave Vichy eut pour successeur en 1906 un de ses ouvriers, Monsieur Triboulet. Les sujets de ce dernier n’ont pas toujours eut la distinction de ceux de Vichy.
D’autres noms se sont peu a peu oubliés, peut être parce qu’ils n’eurent pas de successeurs après 1880. C’était essentiellement des horlogers.
Borel qui en 1867 mélangeait agréablement pendules et automates, spécialiste des danseurs de corde. Cette photo est extraite du livre de Mary Hillier: « Automata and Méchanical toys ».
Desrosiers faisait en 1865 des pièces mécaniques a musique et des tableaux mécaniques avec horloge dans la tradition du 18° siècle.
A la même époque Maltete s’annonce comme fabricant de jouets mécaniques, coqs et poules chantent avec cris naturels.
Thibouville par contre est bien connu pour ses orgues. En 1871 il se dit seul fabricant d’orgues à automates avec figures de singes.
Après la guerre de 1870 apparait Jean Phalibois. Las aussi nous avons un horloger qui se recycle dans l’automate. Comme Borel, il abritera ses sujets sous des globes, les plaçant sur des socles moulurés semblables à ceux des pendules. Ce sont souvent de petites scène a deux personnages. Il fit aussi comme Bontemps des pendules à oiseaux chanteurs.
Ce fut un très fin constructeur qui avec son fils Henry, concevra des modèles complexes, en particulier des escamoteurs.
Si Léopole Lambert n’apparait qu’en 1889, il travaillait déjà bien avant dans l’automate puisqu’il était contremaitre chez Vichy avant de s’installer à son compte.
Dans un univers aussi restreint les influences mutuelles étaient inévitables, et bien des modèles procèdent de la même inspiration. Je n’en veut pour exemple que celui de ces 3 fumeurs: un Roullet, un Lambert, un Vichy.
Ainsi, comment peut on discerner le fabricant si aucune signature n’apparait sur l’automate ?
Pour celui qui est « dans le bain » les formes des visages et des corps parlent. Chaque fabricant avait ses moules et plus ou moins son style. Mais aussi plusieurs centaines de modèles différents.
Impossible de connaitre tous ces visages par cœur. La seule partie de l’automate qui soit à la fois constante et caractéristique de chaque fabricant, c’est la mécanique. La mécanique ne ment pas, mais elle est invisible à l’intérieur du corps ou dans un socle (ce qui est un moindre mal, car on peut sans dommage ouvrir le fond d’un socle, il l’a généralement été plus d’une fois).
Pour ceux qui ont accès à l’intérieur du corps de l’automate, un autre élément reconnaissable c’est la platine, qui est la plaque de mouvementage du sujet. Elle porte équerres et leviers, la forme et le métal choisi pour l’exécution de ces éléments varient suivant le fabricant et aussi suivant les époques. La platine peut parfois aider à dater l’automate.
Est il possible de dater un sujet quand on ne possède aucun document précis ?
En ce qui concerne les automates Roullet Decamps, il existe certains indices; nous les relèverons au passage en étudiant: leur fabrication et leur évolution.
La création de l’automate, son inspiration, est souvent exotique ou théâtrale. Contrairement à sa rivale la poupée qui est habillée comme sa « petite mère » et cherche à s’assimiler à l’enfant, l’automate lui semble tout droit sorti de l’opérette. Il est page, marquis, troubadour, bergère … Acteur muet il est destiné à être toujours en représentation, en bonne place dans le salon, il fera son petit numéro lors des réunions familiales. Pour qu’il fasse sont effet sans être trop encombrant, sa taille moyenne sera de 50cm à 70cm.
Lorsque l’on atteint ces dimensions, il n’est plus question de corps en métal, ainsi Jean Roullet doit-il utiliser le carton moulé à la main. Le point de départ d’un modèle est toujours sa sculpture. Toute fabrique d’automate a son sculpteur qui est aussi mouleur.
La glaise est recouverte de plâtre pour créer le moule qui sera fait de plusieurs pièces afin de permettre un démoulage aisé. Tout est moulé jusqu’au moindre accessoire comme par exemple la crosse de cette harpe (voir photo ci-contre).
Les moules font partie de la richesse d’une fabrique et l’on conserve jalousement le livre ou ils sont répertoriés. Ces précieux moules sont remis aux cartonniers qui sont généralement des cartonnières. Certaines travaillent à la fabrique, d’autres à domicile. C’est donc en ayant le corps, la tète, les mains du sujet que le mécanicien ajusteur commencera a créer son mouvementage. Ce n’est pas une mécanique que l’on habille d’un corps, c’est un corps que l’on anime.
Dans ses débuts Jean Roullet parait avoir du mal à se plier à ce principe. Ses premiers modèles présentent une certaine naïveté, le sujet est raide, le corps est fonctionnel avec un buste très long, presque cylindrique, essentiellement pratique pour loger la mécanique car les sujets sont rarement sur des socles.
Une beaucoup plus grande recherche est apportée à son noir joueur de flute.
Ce belle automate de 1m50 contenait un petit jeu d’orgue qui venait peut-être de chez Thibouville. Les picots du cylindre actionnant les anches de l’orgue transmettaient également le mouvement aux doigts qui jouaient ainsi en mesure. Jambes et mains en bois sculpté. Bâtis suivant le même principe, Zouave et Hussard étaient au garde à vous, ils mesuraient 1m40.
Ce n’était pas là des modèles très enfantins. La scission à l’époque est assez nette entre l’automate et les « joujoux » que sont les animaux marchants et sautants. Les automates vraiment enfantins sont plutôt des animaux. On ne peut pas dire que les fumeurs qui étaient des sujets privilégiés aient été destinés à des enfants. Voici un gentleman qui ne se contente pas de fumer, mais fait aussi fumer son chien. Un des premiers modèle d’automate plus proche de l’enfant puisqu’il le représente, est la fillette au piano. Une petite fille l’assimilera facilement à une de ses poupées mais en robe de gala. Elle date environ de 1880.
Pour l’enfant aussi on crée des petites scènes à sa portée: Le moulin du chat botté, l’ours sentinelle (le nounours, sentinelle ou pas, est toujours un favori) et à l’intention des petites filles romantiques: La sérénade espagnole, les bébés au chat, au coq, a l’oiseau sont de belles poupées animées aux tètes de porcelaine.
Le clown au chapeau est le premier sujet dont l’élégance des gestes s’accompagne d’une certaine préciosité dans la position des jambes. Plus l’on s’approche de la fin du 19° siècle, plus l’importance donnée à l’anatomie et a la grâce de l’attitude augmentent, témoin ce clown en équilibre sur la corde et ce malicieux petit clown sur la lune. Cette recherche dans l’élégance donnée aux sculptures atteindra son apogée lorsque le fils ainé d’Ernest Decamps, Gaston, élève à l’école des arts décoratifs aura son mot à dire aux alentour de 1900, ce qui nous vaudra: La charmeuse de serpent au début du 20° siècle.
Pour personnaliser les sujets, un soin tout particulier sera apporté aux tètes, les corps étant beaucoup plus interchangeables. Exécutées en carton, animées de mouvements de paupières, d’yeux, de bouche, de sourcils, elles seront gainé d’un fin cuir pour les modèles de noirs les plus anciens et les dents en os seront implantées.
Fin 19°siècle on abandonne le carton moulé au profit du staff à Base de plâtre, car il est plus aisé de sceller les mécanismes à l’intérieur.
Ce sont souvent les personnages féminins ou romantiques qui ont des tètes en porcelaine, sur ce Pifferari joueur de harpe, une très belle Jumeau a l’ovale allongée. (photo H15) Pour ses tètes la maison se fournit surtout chez: Gauthier, Jumeau, Rabery Delphieu et plus tard chez: Simon Hallbig, Limoges.
Ces tètes induiront en erreur beaucoup de ceux qui écrivirent sur les automates et qui baptisèrent « automate Jumeau » des automates Roullet Decamps ou autres en se fiant uniquement à la marque de la tète, hors qu’en réalité, différents fabricants d’automates utilisèrent des tètes Jumeau, mais jamais Jumeau ne fabriqua d’automates. Au contraire, lorsqu’en 1892 la maison Roullet Decamps sortit ses modèles brevetés de poupées marcheuses marquées: Bébé l’intrépide, Jumeau fit un moule spécial ou était gravé le mot: Intrépide et les 2 lettres RD derrière la tète.
Je sais que les collectionneurs attachent moins d’importance au corps de leur poupée qu’a leur tète. Je dois dire qu’en ce qui concerne les poupées mécaniques cela est un peu dommage car la tète souvent n’est pas d’origine tandis que le corps avec son mouvementage conserve son authenticité et sa valeur, le mécanisme d’une poupée marcheuse n’étant pas une chose si simple. Celui du bébé intrépide s’arrêtait de fonctionner dès que les pieds de la poupée ne reposait plus sur le sol. Il pouvait ainsi être couché ou assis sans qu’il soit nécessaire de faire usage d’un cran d’arrêt. Un an après le bébé mécanique, la maison pris le brevet du bébé système qui lançait sa jambe en avant lorsque l’on donnait un léger mouvement de balancement à son buste.
Nos poupées qui représentèrent une part très importante de notre production « jouets » sont à peu prés totalement méconnues à l’heure actuelle et attribuées à d’autres fabricants. Voici un intrépide qui porte encore sa clé RD et qui est pourtant cité comme poupée Simon Hallbig à cause de sa tète.
Je suis très reconnaissante à Monsieur et Madame Porot d’avoir fait une étude à leur sujet et mis ainsi en lumière cet autre aspect des fabrications de notre maison.
Parmi celle que j’ai eue étant enfant, voici Toto et Tata, inspirés par le dessinateur Poulbot, les gosses de la butte Montmartre. On commença à les fabriquer avant 1914 et cela dura pendant 20 ans.
Dans le domaine ou les poupées sont les reines, les animaux sont les rois. Les nôtres étaient marchant, courant, sautant, pédalant, roulant seuls ou attelés. Ils sortaient de leurs niches (brevet de 1886) de leur boite de lait, de leur choux etc… Ils sont soigneusement recouvert de peau naturelle. Les chèvres en chevreau mort né, les lapins en peau de lapin, moutons et chien en agneaux frisés.
Le paon marchant tournant la tète, faisant la roue était recouvert de véritables plumes de paon. Afin d’emplumer poules et coqs, une ouvrière allait tous les matins chez les marchands de volailles du quartier ou les poulets vivants attendaient leur triste sort.
Sitot une volaille tuée, elle recueillait les plumes en prenant soin de séparer celles du corps, de la tète et des ailes. A prés un passage en étuve, les plumes étaient collées une par une sur le carton et l’animal parfaitement reconstitué pouvait pousser son cocorico ou pondre un œuf.
Au fils des années et des catalogues, les modèles s’additionnèrent sans presque jamais se soustrairent pour arriver au nombre respectable de 511 en 1911. (poupées non comprises)
Cette pérennité dans les modèles est un des facteurs qui ne facilite pas la datation de certains d’entre eux. Prenons la gravure qui représente la valseuse, c’est déjà à l’époque un modèle ancien puisqu’elle porte le numéro 2 et qu’il y en a 163. Aussi son costume reflète t’il encore la mode du second empire, taille longue, cheveux dans le cou, chaussons lacés très haut sur la cheville.
Entre cette époque, mettons peu après 1870 et 1900 elle changera 3 fois de costume mais non de corps ni de mouvement. La voici en 1900 chignon relevé et crêpelé, robe a fanfreluches, chaussons ballerines. Trente ans environ séparent cette fabrication de la première, seul un fragile costume en soie naturelle et une tète en porcelaine qui peuvent si facilement avoir été détruits nous permettent de la dater.
La valseuse est un cas type, nous avons vu heureusement tout a l’heure que la sculpture des corps s’était modifiée chez Roullet Decamps, les thèmes choisis également.
Fin 19° siècle on abandonne un peu les bergères louis 15 au profit des clowns.
Le clown au tableau présenté ici fait parti des plus remarquables modèles.
Le tableau change 3 fois de dessin grâce à de fines lamelles de papier qui se superposent.
Autour de 1900 on s’inspire carrément de l’actualité artistique.
Voici la célèbre danseuse: la Loie Fuller et le clown Little Tich. Cette évolution dans le choix des sujets fera que nos nouvelles créations s’éloigneront progressivement de l’enfant.
Le grand Hercule a été créé spécialement pour l’exposition universelle de 1900 d’après ce que m’a dit mon père qui avait 18 ans à l’époque.
Il se baisse, ouvre la main, la referme sur l’haltère et élève celle-ci à bout de bras en se redressant, le tout avec un réalisme parfait. Par la qualité de ses mouvements et par sa taille importante, il mérite presque le nom d’androïde. A travers lui je sens déjà l’influence de mon père sur les fabrications de ses parents. La recherche de la perfection du mouvement, la beauté plastique seront ses buts. Il les exprimera parfaitement en une courte phrase: «L’automate doit être une sculpture animée» et il les réalisera magnifiquement avec: L’homme serpent créé un peu avant 1930 et qui figure depuis 1934 au musée des arts et métiers à coté de 2 autres de ses modèles qui seront de la même veine, mais en jouet: L’éléphant marcheur et la panthère rampante.
Après la guerre de 1914 pendant laquelle mon père eut le chagrin de perdre son frère qui était aussi son meilleur collaborateur, les automates se scindèrent complètement des jouets. Ils sont résolument destinés aux étalages, à la publicité. Les petits sujets à musique, les poupées marcheuses, les animaux buveurs, fumeurs ou faiseurs de bulles de savon continuent d’être fabriqués en série jusqu’en 1930, 35 ou 40 suivant les modèles.
Après 1945 seuls les animaux furent conservés à coté des automates électriques.
Entre 1940 et 1945, l’entreprise végète, vit sur ses stocks de métaux car ceux-ci sont confisqués et aussi introuvables que les pommes de terre.
Les grands magasins s’abstiennent de vitrines animées, les jeunes ouvriers sont requis par le STO ou passent dans la clandestinité pour y échapper.
En 1945, Paris commence à renaître et la première vitrine de noël mettra en scène « les animaux célèbres » d’après les dessins de Jean Eiffel. Le dessinateur humoristique est en effet à la mode (son affiche la tour Eiffel appelant de Gaulle « mon grand » est partout dans Paris).
Les jeunes acheteurs des grands magasins américains redécouvrent nos jouets mécaniques et nous obtenons la très enviée carte « d’exportateur » qui suppose un chiffre d’affaire de 5% à l’exportation.
Dans le choix de leurs scènes animées de noël, les galeries Lafayette pratiquent l’alternance. Après Eiffel, c’est au tour de Peynet avec « l’orchestre céleste », après Peynet, Dubout « le marathon de la danse » puis de nouveau Peynet avec « le rêve de noël «,« le mariage de la poupée » ou encore « la sérénade à la fée ».
Chaque année apporte son lot de créations pour les grands magasins américains : Saks de New York, Marshall-Fields de Chicago, Dayton de Minneapolis.
La Belgique n’est pas en reste et l’Innovation de Bruxelles décore sa salle du trône de St Nicolas avec de malicieux lutins et fées d ’après Jean Eiffel.
Pour le Printemps de Paris, nous nous plongeons deux années de suite dans toutes les aventures de Tintin.
Ce travail de création avec les directeurs des étalages des grands magasins qui sont aussi des artistes était absolument passionnant et épuisant car toujours effectué dans l’urgence. Quels que soient les aléas d’une fabrication sans cesse renouvelée, le rideau devait se lever la première semaine de novembre aussi inéluctable que les trois coups de théâtre.
Les dernières très belles vitrines se rapprochaient de plus en plus du spectacle car nous faisions équipe avec de très grands décorateurs de théâtre comme Lila de Nabili qui travailla pour l’opéra de Paris et créa des décors d’une poésie féérique pour « la reine des neiges » .
Ces fastueux spectacles offerts gratuitement aux passants par les grands magasins déclinèrent dans les années 1970 pour être remplacés par des marionnettes à fils moins couteuses et qui avaient l’avantage de mettre en scène poupées et nounours offerts à la vente. Mais cela n’était pas notre métier.
Sur le marché du jouet les japonais arrivèrent en force. En 1958, à l’Exposition Internationale du jouet de New-York, je dus me rendre à l’évidence, de minis oursons buveurs faits de tôles embouties fonctionnant avec de petits moteurs à piles plagiaient sans vergogne notre ourson presque grandeur nature au mécanisme d’horlogerie et sur l’emballage Japonais c’est bien sa photo qui y figurait.
Inutile d’essayer de nous battre sur le créneau prix et quantité, il nous restait ce qui nous intéressait vraiment : la création, le « mouton à cinq pattes ». Cela convenait parfaitement à mon mari Georges Bellancourt.
Déjà dans les années 1920, mon père réalisait un éléphant grandeur nature qui pouvait promener des enfants sur son dos à travers les rayons d’un grand magasin de Chicago, ou un lion grandeur nature pour jouer avec Raimu dans Tartarin de Tarascon.
Son plus beau casse tète, mon mari le dut à Patrice Chéreau. Pour la reprise des contes d’Hoffman à l’Opéra de Paris dont il assurait la mise en scène, Chéreau voulait que le personnage clé « Olympia » soit un véritable automate et non une chanteuse mimant l‘automate.
Olympia devait se déplacer, valser, bien sur chanter, en accompagnant son chant des gestes appropriés, et enfin se briser. Le tout étant commandé à distance. La voix de la chanteuse était retransmise par l’automate, ce que la diva reléguée au sous-sol appréciait peu.
¨Pour l’époque c’était une création remarquable, mais aussi passionnant que soient les moutons à 5 pattes pour leurs créateurs, ils sont rarement rentables.
Il me fallait trouver une solution qui me permette d’assurer le creux abyssale du troisième trimestre.
L’idée sommeillait depuis les années 1960. La maison Roullet-Decamps fondée en 1865 allait avoir 100 ans. Cent ans passés au 10 de la rue du Parc Royal au cœur de marais, ce qui à l’époque signifiait surtout vieux immeubles crasseux et mal entretenus.
Propriété depuis la guerre de l’éducation nationale, cet ancien hôtel particulier du 17ème siècle entre cour et jardin avait connu des jours meilleurs, il lui restait un très beau plafond peint au 1er étage ainsi qu’une remarquable rampe en fer forgé.
Des fonds des placards nous ressortîmes les automates de Jean Roullet pour les installer au premier étage sous le plafond peint. Joueuse de tympanon, flutiste, grands sujets en costumes louis XV et bien d’autres automates trouvèrent place devant la magnifique rampe en fer forgé.
Projecteurs et sono étaient prêts, les journalistes ne nous firent pas défaut, et un frémissement dans l’opinion public se traduisit par des visites qu’il fallait bientôt canaliser par groupes. Nous annoncions par la presse les soirs où nous ferions notre spectacle.
Ce travail dura plusieurs mois. Le nombre de visiteurs fut considérable.
Désormais, tous les ans, nous programmerions une exposition dans une ville de France. Nous avions plus d’une fois accompagné des expositions ventes française dans de grands magasins à l’étranger : Dallas, Montréal, Osaka… Nous servions d’attraction.
Après 1981, cette activité à l’étranger disparut mais nous la continuâmes en France. Malgré cette petite aide, nous sentions bien que notre type d’entreprise basée uniquement sur la création exceptionnelle était condamnée. Des commandes comme l’animation d’un oursin en or pour Salvador Dali ou de précieux Arlequins musiciens pour le joaillier Mauboussin et quelques locations d’automates ne pouvaient plus faire vivre les six personnes qui travaillaient encore chez Decamps.
Pourtant, je ne pouvais me résoudre à la disparition de la maison R.D..
Plusieurs centaines de jouets mécaniques et d’automates âgés de 50 à 120 ans m’en empêchaient. Basée sur le succès de nos « spectacles d’automates », l’idée d’un lieu définitif d’exposition s’imposait. Je partais d’une idée très simple : Les monuments historiques possèdent nombres d’édifices qui ne sont jamais visités parce qu’il n’y a rien à voir dedans.
Je possédais une collection intéressante mais aucune possibilité financière pour lui offrir un abri. Je proposai d’échanger l’un contre l’autre.
A la caisse nationale des monuments historiques, logée dans le superbe hôtel Sully rue St Antoine à Paris, je reçu un accueil compréhensif, et la liste des préfets et architectes des monuments historiques de tous les départements du sud de la France me fut remis.
Nous cherchions une région à vocation plutôt culturelle et très touristique l’été pour assurer le maximum d’entrée à notre futur musée dans un minimum de temps pour éviter l’usure des automates.
La Dordogne et le Lot, pays des châteaux et des grottes préhistoriques, remportaient la palme. La petite ville de Souillac possédait une abbatiale du 11ème siècle dont la réputation n’était plus à faire.
Dans un rayon de 50 km se trouvait tout ce qui se faisait de plus renommé en châteaux et préhistoire.
Le très jeune Maire de Souillac, Alain Chastaignal se battit bec et ongles pour obtenir la collection. Avec l’État, aucun échange n’était possible. Ce fut donc l’achat de la collection qui fût signé par Jacques Lang en 1985 ; voir le site du musée des automate.
L’abbaye avait été abandonnée au profit d’un ancien hangar à tabac. Bâtisse bien rectangulaire, facile à agencer mais sans aucun charme qui jouxtait le cloître. Dans l’esprit d’Alain Chastaignal et le mien, il s’agissait d’une première tranche. Il restait en effet plusieurs grandes scène animées et tout les éléments s’y rapportant de 1920 à 1970.
Ces scène devaient trouver leur place autour du cloitre dans des grandes salles en longueur.
Nous patientâmes plusieurs années… En 1992 les bâtiments où elles étaient entreposées furent vendus et je disposais d’un an pour vider les lieux.
Renonçant à Souillac, je repris ma quête. Au cours d’une interview (les journalistes aiment décidément bien les automates), je parlait de mon projet de création du « musée de la vitrine animée de noël ». L’article paru dans le journal des orphelins d’Auteuil, attira l’attention d’un sénateur de Normandie qui alerta le maire de Falaise, la petite ville qui vit naître Guillaume le Conquérant. Celle-ci fut pilonnée et rasée lors du débarquement de Normandie. Depuis sa reconstruction, le maire disposait d’un bâtiment de 500m² inoccupé.
Le projet était dans ma tète depuis des années. Il était très simple: pour présenter des scène de noël, il fallait reconstituer les façades de grands magasins dans le style de l’époque avec des petites boutiques intermédiaires pour donner une atmosphère de rue.
Hormis les scènes présentées, une partie des locaux servirait à expliquer le processus de fabrication, on entrerait dans une « maison Decamps » symbolique où serait tout de même présent: un coin d’atelier de sculpture, de moulage, de mécanisation, de décoration et d’habillage; rendus le plus vivant possible par la présence de mannequins ouvriers.
Pendant les fêtes de l’anniversaire du débarquement en 1944, madame Anne D’Ornano, présidente du conseil général du Calvados inaugurait l’ouverture du musée de la vitrine animée de noël, rebaptisée pour la future clientèle anglaise « Automates avenue ».
Bien que les travaux de restauration des scènes présentées à Falaise aient apporté un sursis pour la maison Decamps, je dus la fermer en 1995.
Elle avait durée 130 ans mais ne disparaissait pas complètement.
Du petit jardinier à Olympia, quatre générations avaient fait vivre cette entreprise, mêlant savoir technique et imagination créatrice, miroir fidèle des évolutions de la vie française durant 130 années.
Mais la maison Decamps n’aura pas complètement disparue, deux musée en témoignent: le Musée national Decamps à Souillac et Automate Avenue à Falaise.